Voyage, aventure, découverte, autant de mots qui font rêver. Mais que dire quand tout cela se passe en mer des Barents, l’une des mers les plus inhospitalières du monde ? Embarquez avec moi à bord du MS SJØVÆR, où j’ai pu vivre des moments uniques. Entre l’enfer glacé et le calme solaire. Bienvenue dans mon récit, là où la pêche en Norvège prend une dimension totalement différente.
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Galères à l’arrivée à Måløy | Aléas du voyage
La pêche à la palangre en Norvège alterne entre des périodes de travail intense et des périodes de repos. En gros, on pêche pendant 6 à 8 semaines, puis on se repose pendant 6 à 8 semaines. C’est à mon retour de repos que débute cette histoire…
Tout s’était trop bien passé jusqu’à mon arrivée à Måløy. Il se tramait quelque chose de louche… Pas de retard ni de train ni d’avion. Le voyage s’est déroulé comme prévu, sans accrocs, et je retrouve mon ami norvégien Karl qui m’attendait à l’arrêt de bus. Bon, il pleuvait (mais il pleut toujours de toute façon) et il faisait froid (rien d’anormal en Norvège), mais sinon, rien à déclarer.
Et là PAF, en arrivant à mon bateau, j’apprends qu’il doit partir sous peu pour des réparations, un peu au nord de Bergen, soit 6 heures de mer plus au sud de Måløy. Deux options s’offrent alors à moi :
- soit je reste à Måløy pour ma visite médicale, mais je dois dormir à l’hôtel quelques nuits (hôtel + restaurant = un bras en moins) ;
- soit je tente de déplacer mon rendez-vous et je peux séjourner sur le bateau jusqu’au retour à Måløy.
Je choisis l’option numéro deux, et déplace le rendez-vous à mardi matin. Un peu déçu, car j’aurai pu finalement rester 3 ou 4 jours supplémentaires en France, mais je suis sur le bateau, content de prendre la mer pour quelques heures sans avoir à travailler.
Pour le coup, si je considère Måløy comme un endroit proche du trou du cul du monde, je ne dispose plus d’adjectifs pour décrire le lieu où j’arrive. Perdu au milieu de nulle part, un petit renfoncement le long d’une côte montagneuse abritant un grand bâtiment et le nécessaire pour bricoler et sortir de l’eau les bateaux dans le besoin. Le bateau est d’ailleurs rapidement sorti de l’eau, mais il reste sur le quai, le « cul à l’air », car un autre navire déserté occupe déjà ce grand bâtiment. Une sorte d’échelle sophistiquée d’une bonne quinzaine de mètres presque à la verticale permet d’accéder/de sortir du bateau. Le capitaine et le machiniste partent le lendemain (samedi midi) jusqu’au lundi pour rejoindre leur famille à une heure de route.
Ce week-end fut donc un peu particulier : seul sur le bateau, hors de l’eau, dans un décor chaotique coincé entre mer et montagnes, des bruits de chaines, de machines, de bâches qui claquent, des fois des ouvriers de passage, des fois une sensation de seul au monde, le tout sur fond de bourrasques de vent et de pluie… De quoi repeindre son froc dès la nuit tombée.
Pas de bol, le grand bâtiment coupe tout juste l’accès à internet par satellite. Heureusement on m’a confié un peu de peinture pour le week-end.
Finalement, les réparations sont plus longues que prévu. Je dois rentrer sur Måløy par « l’express boat » (un bateau de transport côtier) pour ne pas manquer ma visite médicale, et donc quand même passer deux nuits à l’hôtel (!) en attendant le retour du MS SJØVÆR. Ensuite, tout l’équipage pourra nous rejoindre, on chargera tout le nécessaire, et on aura plus que trois jours de mer pour rejoindre notre zone de pêche dans la mer des Barents… La routine, quoi.
Premières prises en haute mer
La 1re semaine s’est très bien passée, on a vite rempli notre quota de flétan bleu (ou noir au choix apparemment) de 40 tonnes. Je ne le savais pas, mais on pêche du flétan bleu pendant quelques jours en septembre. Les quotas sont très faibles, mais néanmoins très profitables. Content que ça soit terminé en tout cas, car c’est un poisson pénible à attraper, et il est recouvert d’une substance gélatineuse plutôt désagréable (répugnante devrais-je dire). Bref, cinq bonnes journées de pêche épuisante.
Je ne sais pas exactement où l’on était pour pêcher le flétan bleu, mais j’ai été plutôt surpris par le temps et le calme de la mer, avec du soleil toute la journée, assez plaisant. En revanche, nous avons ensuite continué notre route vers le nord pour aller chercher du cabillaud.
On se trouve à proximité de l’île de Bjørnøya (l’île aux ours en français, mais ça va de soi, il me semble). En gros sur une carte, dans l’axe de la Norvège, en montant vers le nord, il y a cette petite île au milieu de rien. Si vous arrivez aux îles Svalbard, vous êtes trop haut, si vous arrivez sur le territoire norvégien, vous êtes trop bas. Bizarrement, même si l’on est toujours qu’en septembre, on sent vite qu’il fait pas bon vivre par ici avec ce soleil rasant l’horizon qui semble si loin, et ce petit vent glacial qui vous picote les yeux… Je crois qu’il va falloir que je fasse deux ou trois emplettes supplémentaires pendant l’entre-deux-trip si je ne veux pas finir en « mister freeze ». Bon, les Norvégiens, eux, sont toujours en tee-shirts (ils ne supportent pas une chaleur supérieure à 25 degrés par contre). Toujours est-il que comme les quantités de cabillaud pêchées n’étaient pas satisfaisantes, on repart un peu plus au nord…
Pour les intéressés, je vous laisse un lien où l’on peut voir en temps réelle la position d’un navire : http://www.marinetraffic.com/ais/.
Il suffit d’entrer : MS SJØVÆR dans la catégorie : « Go to vessel ». Par contre, je crois que le signal que l’on émet est un peu faible, donc il n’est pas certain que ça marche à chaque fois.
Dans la tempête face à la nature
Nous sommes désormais en pleine tempête en mer des Barents ! Si l’on imagine l’enfer comme bleu et froid au lieu de rouge et chaud, et avec une durée de six semaines, on ne doit pas être bien loin de la réalité. Mais dans l’ensemble, excepté la fatigue qui commence à s’accumuler, ça se passe plutôt bien mieux que pour mon premier trip, bien que l’on pêche beaucoup plus de poissons. Enfin, ça, c’était jusqu’à hier.
Hier donc, en prenant ma relève à l’avant du bateau, là où l’on attrape les poissons, un vent étrange me sifflote dans les oreilles. Trente minutes plus tard, je ne vois pas à plus d’un mètre, des lignes blanches horizontales me barrent toute visibilité !
On avait déjà eu pas mal de neige, mais là avec le vent, ça devient assez impressionnant. Des vagues qui passent par-dessus le bateau en prime… Il ne faut plus seulement se concentrer sur les poissons qui remontent, mais également sur les vagues pour éviter d’être trempé. Il fait nuit, froid, il neige à gros flocons, il y a plein de vent et de grosses vagues, bienvenue dans une tempête en mer des Barents.
C’est un peu comme dans un manège genre grand huit, il faut dépenser pas mal d’énergie juste pour tenir debout. On peut presque se tenir droit à 45 degrés d’inclinaison, ce qui m’amuse beaucoup. Pas d’inquiétude quand même, le bateau est solide et encaisse bien, tout le monde est habitué à ce genre de météo hivernale peu clémente.
Puis, hier soir, alors que la mer s’était un peu calmée, il me restait plus ou moins 10 minutes à tenir devant, à récupérer autant de poissons que possible. Alors que je m’apprête à attraper un joli loup tacheté (prise accessoire, mais que l’on garde néanmoins), je sens ma main gauche bloquée d’une manière inhabituelle. Je rate le loup tacheté et réalise avec surprise et stupéfaction que le petit doigt de ma main gauche vient d’être pris pour cible par un hameçon. Réflexe stupide, mais réflexe quand même, je tire pour me dégager au plus vite, chose que mon petit doigt n’a pas tellement apprécié. J’ai donc une vilaine plaie qui me vaut une journée de repos. Et je me sens mal vis-à-vis des autres pêcheurs qui doivent se taper mon boulot en plus du leur… Mais une décision du capitaine se doit d’être respectée.
Pour ne pas faciliter les choses, les bulletins météo annoncent des bourrasques à venir autour de 90 km/h… Si mes calculs de conversion sont bons, ces deux derniers jours, le vent soufflait aux alentours de 50 km/h. Plus que dix jours…